Nous embauchons : maire ou mairesse

Le monde municipal au Québec fait face actuellement à un enjeu sans précédent. Plus de 800 élus municipaux ont quitté leur poste depuis les dernières élections municipales de novembre 2021. Huit cents élus, c’est le dixième de nos élus municipaux. Si l’on fait le parallèle à l’échelle du Québec, ce serait comme perdre 450 000 travailleuses et travailleurs sur les 4,5 millions sur le marché du travail. C’est plus du double de départs comparativement au mandat précédent. De plus, puisque, dès novembre nous entamerons la dernière année du mandat, plusieurs autres départs pourraient survenir. En effet, lorsqu’il reste moins d’un an à écouler avant la prochaine élection générale, les villes ne sont pas dans l'obligation de tenir une élection pour pourvoir les postes vacants.

Ces départs entraînent des conséquences immenses sur la gestion quotidienne des villes, sur la planification des projets et sur l’attrait de la fonction d’élu municipal, entre autres choses. Les principales raisons évoquées par les élus démissionnaires sont étroitement liées au climat de travail, aux insultes reçues, aux menaces de mort, aux abus verbaux, physiques et psychologiques. Cette situation commence à devenir une tendance. Des élus de plusieurs villes ont fait directement allusion à ce climat toxique où la fameuse « carapace » ne protège plus contre la force des attaques. Parmi ces villes, on note Trois-Rivières, Sherbrooke, Chapais, Longueuil et maintenant Gatineau. Et cela ne pourrait être que la pointe de l’iceberg.

Si, encore une fois, nous transposions cette situation à une autre industrie, nous parlerions de crise sévère et des actions rapides, concrètes et drastiques seraient réclamées. Personne ne tolérerait que des abus verbaux ou physiques soient perpétrés sur un commis de banque ou qu’une brigadière scolaire soit bousculée. Alors que les colonnes de la démocratie vacillent en voyant des personnes dûment élues quitter leur poste avant la fin du mandat, laissant leurs commettants non représentés, que faudra-t-il pour que l’on se mobilise afin de freiner cette hémorragie, protéger et valoriser nos élus?

Du point de vue des relations publiques, cette situation génère certains questionnements fondamentaux. En effet, les villes et ceux qui gravitent autour des représentants municipaux pourraient devoir revoir certaines façons de faire afin de contribuer à ce changement de paradigme pour le moins préoccupant.

Gouvernance et relations gouvernementales

Bien que les maires et mairesses démissionnaires soient remplacés par une personne intérimaire, il n’en demeure pas moins que les activités de lobbyisme seront touchées par ce changement. Certains élus préféreront un intérim « de gestion quotidienne », c’est-à-dire une période où une simple prestation de services actuels sera offerte, d’autres préféreront un intérim « d’audace », c’est-à-dire, profiter de cette occasion pour réaliser des projets ou préparer le terrain pour la prochaine personne élue. Plusieurs développeurs immobiliers choisiront de mettre leur projet en pause, le temps d’une élection partielle. En d’autres mots, il y aura assurément une pause dans les échanges avec les élus et davantage d’échanges avec le personnel administratif qui gagnera en influence.

Gestion de projets et développement municipal

Cette « pause politique » aura aussi un impact certain sur la gestion de projets et le développement des villes. Le maire ou la mairesse, dans les plus petites municipalités, est souvent le champion ou la championne ou le chef d’orchestre politique pour de nombreux projets. Sans capitaine aux commandes, plusieurs investissements, projets ou développements pourraient être retardés, modifiés, voire abandonnés. C’est durant cette période que les échanges en continu avec les fonctionnaires et les conseillers municipaux demeurent essentiels. Durant cette période de transition, il sera important de préparer un document de breffage sur les projets en cours afin de bien sensibiliser la ou le nouvel élu après l’élection partielle. En changeant d’interlocuteur principal ou de porteur politique de dossier, l’impact sur la perception d’un projet peut connaître un virage à 180 degrés.

À l’heure où des actions rapides sont demandées dans les villes afin de travailler sur des problématiques aussi urgentes et importantes que la crise du logement, la hausse du nombre des cas d’itinérance ou l’augmentation de la criminalité, il va de soi que les départs de ces élus municipaux auront des conséquences sur le développement des villes et des municipalités.

Pouvoir d’attraction et de rétention

Au-delà des impacts sur la gestion des villes et des municipalités, nous faisons face à un réel enjeu de rétention. Toutes les personnes élues au niveau municipal mentionnent qu’être élues est le plus beau métier du monde. Il y a une réelle possibilité de changer les choses, améliorer la qualité de vie, préparer l’avenir et avoir un impact très concret pour les générations futures. Mais, il y a un énorme MAIS. La tension constante au sein de certains conseils municipaux, les échanges corsés et non respectueux lors de la période de questions et surtout, la tendance à vouloir tout régler sur les médias sociaux pèsent lourd sur les personnes élues. Souvent, certains électeurs exigent un traitement instantané d’une demande envoyée par courriel ou sur les médias sociaux, ou pire, certains se cachent derrière de fausses identités pour dénigrer et attaquer vilement les élus. Difficile de se battre contre ce qui est intangible! Le pouvoir d’attraction du rôle de maire ou de mairesse s’étiole comme peau de chagrin. Plusieurs sont élus par acclamation et parfois, personne ne souhaite s’y présenter. Voilà un enjeu préoccupant.

Comme professionnels en relations publiques, plusieurs actions peuvent être déployées pour gérer cette crise. Car oui, il faut considérer cette situation comme une réelle crise. Bien sûr, il faut colmater la brèche béante qui est venue affaiblir les fondations mêmes de notre démocratie. Un travail de sensibilisation sur le rôle des élus, un code de conduite municipal pour les médias sociaux, des mécanismes accessibles permettant aux citoyens de s’exprimer librement, des soirées sur l’acceptabilité sociale et le plus important, prendre conscience que les élus sont des personnes à part entière, qui se donnent entièrement à leur communauté et qui ne comptent pas les heures de travail.

Jacques Godbout disait : « Les villes sont la nature façonnée par l'Homme, à son image et à sa ressemblance ». À nous d’en faire quelque chose de bien!

——— Jane Taber était vice-président et leader, secteur Affaires municipales et éducation au Cabinet de relations publiques NATIONAL

Rédigé parAlexandre Cusson
Rédigé parHugo MorissetteDirecteur principal, Affaires publiques, transport et mobilité