Le Québec en campagne électorale : le débat des chefs
Les bons coups de la soirée – François Crête
Nous serions tentés de dire que les gagnants de la soirée sont Raymonde Chagnon, la dame de Mirabel qui a posé la première question et qui a eu le mot de la soirée avec son « pas tellement », ou tout simplement l’Ontario où finalement on gagne plus d’argent et où la vie est meilleure. Mais soyons sérieux.
Jean-François Lisée a fait preuve d’une agressivité insoupçonnée malgré sa contribution à la cacophonie ambiante. Il est aussi celui qui avait le meilleur niveau de langage. À une époque où on cherche à protéger notre langue, il faut le souligner tout comme son sens de l’humour si rare en politique.
Manon Massé a démontré qu’elle n’oubliait pas d’où elle venait en prenant la défense des petits salariés dans un échange avec François Legault sur le salaire minimum. Elle a évité de sauter à pieds joints dans les nombreuses foires d’empoigne cacophoniques. Elle a peut-être aussi réussi à aplanir l’étiquette de radicalisme adossée à son parti.
François Legault a évité de hausser le ton, une habitude qu’on lui a souvent reprochée. Ses attaques en santé et en éducation ont fait mouche particulièrement contre Philippe Couillard. Il a aussi martelé l’argument des quinze années de pouvoir des libéraux, une affirmation qu’il véhicule depuis le début de la campagne. La pression de meneur était sur lui et, somme toute, il a su éviter les pièges.
Quant à Philippe Couillard, il a été la plupart du temps la cible des attaques de ses adversaires, surtout sur la santé et l’éducation. C’est toujours le cas pour un premier ministre en poste. Il n’a pas paru déstabilisé outre mesure. Il a gardé son calme et a su démontrer sa grande connaissance des dossiers, sa marque de commerce depuis son entrée en politique. Enfin, il est souvent revenu sur le thème de la pénurie de main-d’œuvre qui est son cheval de bataille depuis les derniers jours.
L’image et les bonnes lignes – Julie-Anne Vien
Un débat constitue aussi le lieu tout indiqué pour lancer des formules chocs, les fameuses « clip », qui visent principalement à frapper l’imaginaire, définir l’adversaire, déstabiliser ou critiquer, voire ridiculiser, des propositions.
L’édition 2018 n’a pas fait exception. Au rang des formules coup de poing, on note :
« C’est pas Doug Ford qui va décider combien les Québécois doivent payer leurs médecins » (Lisée)
« Dans votre cas, l’ambition rime souvent avec brouillon » (Couillard en parlant de Legault)
« Des fois, je vous mêle » (Lisée, en parlant à Couillard après l’avoir appelé Legault)
Et on aurait envie d’ajouter le « Clarté, divergence de points de vue : on avance ! » (Patrice Roy, visiblement énergisé par les échanges musclés).
Après plus de deux heures d’échanges, d’attaques et, disons-le, de moments franchement cacophoniques, le public ne garde généralement qu’une impression générale d’un débat. Après tout, 93% de la communication repose sur les mots non prononcés, c’est dire l’importance du contenant (tenue vestimentaire, posture, attitude, ton) et du non-verbal.
Dans cet exercice balisé, où on se bat pour passer son message, gageons que c’est Mme Raymonde Chagnon, la première citoyenne à interpeller les chefs, qui remporte la palme de l’authenticité et qui risque d’être érigée au rang de vedette instantanée avec son « pas tellement » qui a enflammé la toile.
Et alors ? Quel effet sur les intentions de vote ? – Alexandre Boucher
Ce débat ne passera pas à l’histoire. Quelques jambettes ici et là, mais aucun des quatre chefs n’a trébuché. Quelques messages bien enveloppés, mais pas d’attaques assassines. Au final, rien pour changer la trajectoire de la campagne ou donner une impulsion à un candidat qui traine de l’arrière. À moins que ce soit partie remise pour les deux débats de la semaine prochaine ?
De toute façon, l’histoire nous rappelle qu’il faille relativiser l’impact de ces débats sur le comportement des électeurs, d’autant plus que les chefs, contrairement à jadis, participent à plusieurs confrontations du genre. Au royaume des spin doctors et des influenceurs, on dit même que l’électeur est davantage influencé par les « débats sur le débat » que par les débats eux-mêmes.
D’un autre côté, à partir du moment où le débat d’hier risque peu d’influencer la tournure de la campagne électorale, on peut conséquemment affirmer que celui qui mène dans les intentions de vote actuellement en ressort avantagé. De façon générale, à moins d’une performance étincelante et d’un revers des autres candidats, ces joutes oratoires servent davantage à réconforter le choix d’un électeur qu’à lui dicter le parti pour qui il ira voter. Surtout qu’il n’y a aucun automatisme entre le gagnant d’un débat… et le gagnant d’une élection. Certes, ces débats peuvent accélérer ou amplifier des mouvements déjà perceptibles au sein de l’électorat ou cesser un lent déclin. On se souviendra que la brillante et rafraîchissante performance de Françoise David en 2012 lui avait probablement permis de ravir la forteresse péquiste de Gouin et que celui de 2014 avait permis à François Legault de reprendre du poil de la bête dans une campagne électorale où il s’enlisait. Cette fois-ci, peut-être que Jean-François Lisée aura réussi à conserver son siège de Rosemont qu’on disait menacé.
Au final, après un marathon électoral de 39 jours et à travers un océan d’engagements, une mer d’attaques et une pluie de controverses, l’électeur moyen devient rapidement saturé de cette joute politique et partisane. Appelé aux urnes, son vote sera davantage conditionné par l’impression générale qu’il retient de cette campagne ou de ce qu’il lui a été rapporté.
En fait, dans 18 jours, une fois dans l’urne et le crayon dans la main, qui se rappellera que tel chef a impressionné et que tel autre a déçu lors de ce débat télévisé ? Ah oui, les experts de NATIONAL s’en souviendront. C’est à peu près tout !
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