Gouvernement minoritaire : un fragile équilibre à maintenir
Le 20 octobre 2019, les Canadiens ont exprimé leur souhait de voir les politiciens fédéraux de toutes allégeances travailler ensemble pour le bien commun. En effet, face à la perspective de maintenir le cap ou de procéder à un changement, les électeurs ont plutôt décidé d’assurer leurs arrières. Nos dirigeants politiques se devaient d’en prendre acte.
La nouvelle donne minoritaire à Ottawa offre aux partis l'occasion de montrer aux Canadiens que, lorsque la situation l’exige, leurs élus sont désireux – et capables – de collaborer et de mettre de côté la rhétorique partisane.
Malgré cela, la compétition est inhérente à la politique. Bien qu’il soit possible pour les dirigeants de s'entendre, leur objectif ultime est de prendre le pouvoir afin d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques qui soient fidèles à leurs convictions profondes.
Cependant, chaque parti bénéficie en quelque sorte du contexte minoritaire actuel pour différentes raisons. Ils ont tous intérêt à faire fonctionner cette législature à court et à moyen termes.
Bien que la session parlementaire n'en soit qu'à ses balbutiements, les dernières semaines ont déjà mis en évidence la manière dont les partis ont l'intention de préserver cet équilibre des plus délicats.
Le Parti libéral contrôle fermement le gouvernement et a suffisamment de latitude pour faire avancer d'importants projets de sa plateforme. Cependant, il n’hésite pas à tendre la main à l’opposition de façon ponctuelle. Un bon exemple en est le récent dépôt du projet de loi C-5, visant à offrir aux juges fédéraux une formation de sensibilisation sur les agressions sexuelles. Ce projet de loi a été présenté il y a des années par l'ancienne cheffe intérimaire conservatrice Rona Ambrose. Cette dernière était d’ailleurs présente lors de la conférence de presse annonçant l’initiative. L'équipe Trudeau a pour mission de regagner le soutien des électeurs déçus par son premier mandat, et de prouver que le parti offre des solutions pour tous, sans égards aux affiliations politiques ou régionales. Pourtant, il reste à voir comment les troupes libérales exécuteront les nombreux engagements (désormais publics) inscrits dans les lettres de mandats ministérielles.
En parlant du projet de loi C-5, le NPD l'a approuvé sans réserve, affirmant que « les Canadien.nes s'attendent à ce que nous soutenions cet important projet de loi pour aider les survivant.es et à ce que nous travaillions avec tous les membres de la Chambre pour faire en sorte que cela se produise le plus rapidement possible ». Cependant, sans doute pour éviter d'être trop étroitement alignés sur les positions libérales, les néo-démocrates ont aussi déposé une motion demandant au gouvernement d'accélérer l'adoption du projet de loi. L’objectif actuel du NPD est de se démarquer de façon indépendante et de fournir une opposition de gauche constructive au gouvernement, tout en espérant que ses performances en matière de financement s’améliorent à temps pour les prochaines élections fédérales. À ce titre, la stratégie employée est cohérente avec ce plan.
Aucun parti n’incarne mieux les défis de cette recherche d’équilibre que le Bloc québécois. Le caucus bloquiste, dont le statut a été acquis grâce à l'appui des électeurs nationalistes, doit livrer des gains pour le Québec, dans un contexte où son chef a ouvertement reconnu qu'il n'avait aucun intérêt à faire fonctionner la Confédération. De plus, ses visées souverainistes limiteront à jamais tout alignement idéologique avec le gouvernement provincial de la CAQ. Les efforts en vue de la ratification de l’ACEUM en sont un exemple révélateur. Le Bloc québécois veut retarder l’adoption du traité, citant, entre autres, son impact négatif sur le secteur de l'aluminium au Québec. De son côté, le gouvernement du Québec a exhorté les parlementaires à le ratifier rapidement, demandant même au Bloc d'éviter l'obstruction. Alors que l’industrie de l’aluminium elle-même approuve le traité, le Bloc a dû justifier sa position en invoquant sa volonté de protéger les travailleurs. Un tel exercice contribue à accélérer la courbe d’apprentissage d’un caucus composé en grande partie de nouveaux députés.
Quant au Parti conservateur, il essaie de présenter une opposition solide et pragmatique, en attendant l’issue de sa course à la chefferie. Sur l’ACEUM, les conservateurs sont restés fidèles à leurs principes en matière de libre-échange, sans approuver ouvertement les actions des libéraux. Après tout, ils ne sont pas pressés de retourner en élection, et gagnent pour l’instant à éviter les confrontations directes en attendant le moment opportun. Le contexte minoritaire leur offre des perspectives de victoires politiques rapides (ils ont jusqu'à présent battu les libéraux lors de deux votes) pendant qu’ils se restructurent autour d'un nouveau leader. Pourquoi changer ce qui semble fonctionner?
Coopération. Compétition. Stabilité. Ce sont les éléments essentiels de cette 43e législature. À mesure que nous approcherons du dévoilement du budget 2020, les Canadiens seront très attentifs à la façon dont les partis tenteront de faire des compromis. L’équipe d’experts en relations gouvernementales pancanadienne et bilingue de NATIONAL continuera pendant ce temps de surveiller et de décrypter les événements majeurs de la « nouvelle normalité ».
——— Tiéoulé Traoré était directeur, Relations gouvernementales au Cabinet de relations publiques NATIONAL