Assemblée nationale du Québec : une session tumultueuse!
LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot
Le premier ministre du Québec est un amateur invétéré de tennis. Ceux qui l’ont affronté savent qu’il ne donne pas sa place sur un court et qu’il vend cher sa peau. Cependant, comme tout bon joueur, le premier ministre commet par moments des fautes non provoquées. Regard sur la dernière session parlementaire qui se termine aujourd’hui et que l’on pourrait décrire comme une succession d’échanges difficiles pour un gouvernement qui avait pourtant la balle dans son camp.
Franchir le fil d’arrivée d’une session parlementaire devrait se faire en sifflant un air connu pour un gouvernement qui occupe 90 des 125 sièges, à plus forte raison quand il n’a pas encore complété la première année de son second mandat et qu’il surfe toujours sur la vague de sa popularité. Or, les événements se sont bousculés à un rythme infernal depuis la rentrée à l’Assemblée nationale du Québec et, la plupart du temps, le gouvernement caquiste semble n’avoir personne d’autre à blâmer que lui-même.
Le prix d’une promesse brisée
La décision de jeter aux orties le projet de tunnel autoroutier Québec-Lévis, pourtant réclamée à cor et à cris par bon nombre de citoyens et par l’ensemble de l’opposition, est arrivée à un moment où l’actualité n’avait rien de mieux à se mettre sous la dent. Dans la région de la Capitale-Nationale et dans sa voisine au sud, Chaudière-Appalaches, la promesse du troisième lien a pesé lourd dans la balance électorale. Les trémolos de Bernard Drainville ont parfaitement illustré le ressac de cet engagement ferme, rappelé mille fois plutôt qu’une pendant la campagne, notamment par le premier ministre.
Des députés, comme leur population, se sont sentis floués et en ont payé le prix. Le ministre Éric Caire s’est fait rappeler sa promesse de mettre son siège en jeu si le tunnel n’était pas construit. D’autres se sont fait questionner sur leur influence au sein du caucus gouvernemental, au point de se faire comparer à des plantes vertes.
Hausse salariale contestée
C’est dans ce contexte pourtant peu favorable que le gouvernement a choisi d’annoncer l’augmentation du salaire des élus. Les mots sont importants ici : on parle bien d’une majoration salariale annuelle de trente mille dollars pour chaque élu à l’Assemblée nationale. De mémoire, aucun gouvernement n’avait osé ouvrir cette boîte de Pandore.
L’argument voulant que le salaire des députés n’ait augmenté que de 15 % entre 2013 et 2022 tandis que le salaire annuel moyen au Québec a, quant à lui, augmenté de 35 %, n’a pas tenu la route. Cette décision du gouvernement arrive au moment où les citoyens doivent composer avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt et peinent à joindre les deux bouts. Elle survient aussi au beau milieu des négociations avec les employés de l’État, à qui on dit depuis des lunes que la capacité de payer des contribuables québécois a atteint sa limite, qu’ils doivent se montrer raisonnables et réalistes. La grogne syndicale est imminente. Ceux à qui la présidente du Conseil du trésor propose des alternatives en réponse aux demandes salariales ont bien noté que la hausse consentie aux députés frise les 30 %.
L’armure craque
Au début de la session, le gouvernement s’est senti porté par la volonté de l’électorat, qui venait tout juste de lui donner l’un des mandats les plus forts de l’histoire récente. Or, cela ne lui a pas conféré les coudées franches nécessaires aux réformes qu’il a mises de l’avant. Dur rappel qu’à l’ère des médias sociaux, la popularité est éphémère.
Les deux lois-phares du gouvernement sont la cible d’opposants issus de partout. Le projet de loi 23 qui vise à rendre le réseau scolaire « plus efficace ». Perçue comme centralisatrice, la réforme de l’Éducation octroie d’importants pouvoirs au ministre. La création d’un institut d’excellence en éducation pour améliorer l’enseignement irrite et ouvre la porte à la contestation acerbe du corps enseignant.
Heureusement pour le gouvernement, la réforme de la santé pilotée par le ministre Christian Dubé reçoit un accueil plus favorable. Naviguant loin de la lumière médiatique, l’habile bras droit du premier ministre manœuvre avec aisance dans l’habituelle mer de contestation réservée à ceux qui osent s’attaquer au réseau des soins de santé. Avec Santé Québec, une réforme ambitieuse et profonde, le ministre Dubé semble tenir le gros bout du bâton, une rareté dans sa profession.
Crises providentielles
À travers ce pénible départ de son second mandat, François Legault réussit encore et toujours à éviter les écueils. Il le doit à sa proverbiale empathie naturelle. La faculté de rejoindre les gens au moment où ils en ont le plus besoin lui sert bien quand ça ne va pas.
Comme il l’a démontré durant la pandémie, le premier ministre excelle dans la gestion de crise. Lors des inondations majeures qui ont frappé le Québec, notamment dans le secteur de Baie-Saint-Paul, lors des tragédies de Laval et d’Amqui et, actuellement, alors que la forêt québécoise brûle, M. Legault rayonne par son humanisme naturel et par la proximité qu’il crée rapidement avec les sinistrés sur le terrain. Il sait trouver les mots et le ton qu’il faut.
Pour certains critiques, ces crises lui servent d’écran de fumée devant la tourmente quotidienne de son gouvernement. Or le public semble touché de voir le visage humain de leur chef d’État, sa compassion sincère devant l’horreur que vivent leurs concitoyens.
Ayant lui-même soulevé des enjeux tumultueux pendant la session en « puisant dans sa réserve de courage », François Legault fait le pari que le temps fera son œuvre et que les Québécois finiront par oublier ses décisions difficiles concentrées au début de son second mandat.
Après tout cela, le premier ministre calcule que la popularité de son gouvernement aura le temps de se remettre sur pied d’ici au prochain scrutin.