Analyse du discours du Trône : un avant-goût des prochaines élections fédérales

Crédit photo : LA PRESSE CANADIENNE/Justin Tang

Le discours du Trône du gouvernement libéral, prononcé par la gouverneure générale du Canada Julie Payette mercredi à Ottawa, n’a laissé planer aucun doute : le premier ministre Justin Trudeau se prépare déjà aux prochaines élections fédérales.

La toile de fond

Concrètement, le gouvernement libéral semble résolu à aller de l’avant avec son agenda politique. Les programmes mis en place depuis le début de la pandémie seront pour la plupart reconduits, et seront complétés par de nouvelles structures d’aide aux citoyens. Le premier ministre a renforcé ces messages dans son discours à la nation mercredi soir, avertissant les Canadiens qu’une deuxième vague est une réalité à laquelle nous devons toutes et tous faire face.

Malgré les défis immédiats liés à la COVID-19, le premier ministre a aussi adressé un message clair à sa principale opposition, le Parti conservateur : la saison préélectorale a officiellement débuté.

Le discours du Trône s’articulait autour de la résilience. Ce thème s’applique également au contexte de survie politique dans lequel se retrouvent les libéraux. Les parlementaires devront voter sur le discours du Trône, décidant par le fait même du sort du gouvernement Trudeau.

Les libéraux ont consciencieusement choisi de poursuivre leur stratégie visant à accélérer les dépenses pour contenir les impacts de la COVID-19, promettant une myriade de nouvelles mesures pour soutenir les Canadiens – coûte que coûte. Sur des enjeux clés tels que la santé, l’économie, l’égalité et l’environnement, le gouvernement a promis de « faire preuve d’audace ».

À travers la vision et le ton employés par le gouvernement pour transmettre son message, les Canadiens ont pu percevoir l’ébauche d’une plateforme de campagne. Les libéraux restent campés sur leur programme, et font le pari que les Canadiens seront de nouveau de leur côté le moment venu.

Engagements clés

Ottawa continuera d’appuyer les provinces, à hauteur de 10 milliards de dollars, pour les aider à s’approvisionner en équipement de protection personnel et à améliorer leur capacité de dépistage. En parallèle, le fédéral accélérera les efforts pour obtenir un vaccin, le seul moyen pour notre pays de triompher face à la pandémie.

À travers ce qui était peut-être la déclaration la plus emblématique du discours du Trône, le gouvernement a affirmé avec aplomb que « l’heure n’est pas à l’austérité ». La Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) sera reconduite jusqu’à l’été prochain; le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) sera amélioré; les Canadiens qui quitteront la Prestation canadienne d’intervention d’urgence auront accès non seulement à l’assurance-emploi, mais aussi à des programmes de formation professionnelle. En d’autres termes : les coffres fédéraux restent grands ouverts – et le demeureront jusqu’à ce que la pandémie ne soit plus qu’un lointain souvenir.

Le discours du Trône évoquait en quelque sorte la période où le gouvernement Trudeau était majoritaire. Plusieurs des thèmes abordés portaient sur la construction du Canada de demain :

  • Une société plus durable et plus verte, à travers laquelle le gouvernement réitère sa détermination d’atteindre l’objectif de zéro émission nette de carbone d’ici 2050, d’interdire le plastique à usage unique en 2021 et de rendre les véhicules zéro émission plus abordables.
  • Un soutien accru et des protections renforcées pour les populations les plus vulnérables (les communautés autochtones, les aînés, les Canadiens racisés, les personnes handicapées), avec des politiques comme la création d’un cadre national d’assurance-médicaments et de nouvelles normes nationales pour les soins aux aînés, mais aussi des mesures pour lutter contre le racisme systémique.
  • La promesse de combattre le COVID-19 à travers un prisme féministe : l’annonce phare du discours était la promesse de créer un programme national de garderie, afin que les mères de famille ne se heurtent pas à des obstacles supplémentaires pour accéder au marché du travail.

À travers ces engagements, tous les segments clés de l’électorat libéral ont été ciblés avec succès. Le gouvernement reste particulièrement concentré sur ses efforts pour solidifier ses appuis au centre-gauche, dès maintenant et en prévision des prochaines élections. C’est une dynamique omniprésente qui remonte à la campagne fédérale de 2015. Plus simplement : les libéraux savent par quoi – et par qui – passe leur réélection.

Analyse

Ce qui est peut-être le plus frappant dans ce discours, c’est qu’il est un pied de nez aux détracteurs du gouvernement. Il ne répond tout simplement pas aux multiples requêtes politiques de l’opposition et des premiers ministres provinciaux.

  • Les déboires éthiques de cet été n’ont pas incité le gouvernement à se remettre en question. Loin de là. Les libéraux n’ont fait pratiquement aucune concession à leur principale opposition, le Parti conservateur : pas de mesures d’urgence pour le secteur pétrolier et gazier en difficulté (ce qui fut vivement critiqué par le premier ministre albertain Jason Kenney mercredi soir), pas de politique visant les petites entreprises, et très peu de mentions du secteur agricole.

  • Comme le prédisait NATIONAL, le Parti conservateur a indiqué rapidement qu’il n’endosserait pas le Discours du Trône. L’absence d’un véritable plan pour l’atteinte de l’équilibre fiscal et le manque de soutien à l’industrie pétrolière et gazière laissent présager des débats musclés au cours des prochaines semaines.

  • Ottawa semble faire sciemment le choix de confronter les provinces et les territoires. En effet, le premier ministre Trudeau a apparemment ignoré la demande publique faite par l’Ontario, le Québec, l’Alberta et le Manitoba d’améliorer les transferts fédéraux en matière de santé, et ce, sans conditions. Ce débat est cependant loin d’être clos. Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a certainement remarqué cette omission : « Aujourd’hui, le gouvernement fédéral a raté une occasion cruciale de s’engager à accroître désespérément les transferts canadiens en matière de santé. Je continuerai de travailler aux côtés de mes homologues provinciaux pour demander au gouvernement fédéral d’investir sa juste part dans les soins de santé. Sur ce front, un accord avec les provinces est probable dans les semaines à venir.

  • De plus, avec l’imposition d’un cadre national d’assurance-médicaments et de nouvelles normes nationales pour les soins aux aînés, Justin Trudeau se dirige probablement vers une confrontation avec le premier ministre du Québec, François Legault, dont la réaction immédiate sur Twitter a été : « Un Discours du Trône décevant pour le Québec. Ne respecte pas la compétence des provinces en matière de santé. » Cette réaction devrait sceller l’opposition du Bloc québécois au Discours du Trône.

  • Les coûts associés à ces mesures seront considérables, mais correspondent à la tendance observée dans les budgets fédéraux des libéraux depuis leur arrivée au pouvoir. Ils n’ont jamais été timides en ce qui concerne les dépenses – et ne comptent pas l’être maintenant.

La suite

Tous les yeux seront tournés vers le NPD, le parti dont le programme est le plus compatible avec le gouvernement. Son chef Jagmeet Singh a posé comme conditions préalables à son soutien la prolongation de la Prestation canadienne d'urgence, et la mise en place de congés de maladie payés pour tous les employés du pays; deux exigences que les libéraux semblent prêts à accepter. Cela devrait les aider à repousser les conservateurs et le Bloc, leur permettant ainsi de conserver le pouvoir pour l’instant.

Mais, quel que soit l’avenir immédiat de cette législature, Ottawa passe en mode préélectoral. Le gouvernement libéral vient de lancer la première offensive, se montrant relativement confiant quant à la perspective d’aller aux urnes si nécessaire. Il appartient désormais aux partis d’opposition de répondre avec panache.

La prochaine mise à jour financière – annoncée pour cet automne dans le cadre du Discours du Trône – constituera un autre test clé pour ce gouvernement. D’autres étapes seront à surveiller : de nouvelles lettres de mandat pour les ministres pourraient être rédigées, et un remaniement ministériel n’est pas à exclure.

À très court terme, la principale inconnue demeure l’impact que la deuxième vague de la pandémie aura sur le programme législatif, et si – par extension – elle mettra fin à ce parlement minoritaire.

L’équipe d’experts en relations gouvernementales de NATIONAL continuera de suivre les développements, les moments clés et les tendances associés à cette 43e législature.

——— Tiéoulé Traoré était directeur, Relations gouvernementales au Cabinet de relations publiques NATIONAL

Rédigé parTiéoulé Traoré