À quoi ressembleront les relations canado-américaines en 2022?
En 1961, peu après son élection à la présidence, John F. Kennedy a effectué sa première visite officielle hors des États-Unis à Ottawa, comme le voulait la tradition. Lors de son discours devant le Parlement canadien, il a résumé les relations canado-américaines par cette célèbre citation :
« La géographie a fait de nous des voisins. L'histoire a fait de nous des amis. L'économie a fait de nous des partenaires. Et la nécessité a fait de nous des alliés. Que nul ne tente de diviser ceux que la nature a ainsi réunis. »
Cette citation est celle qui décrit le mieux cette relation, même à ce jour. Bien qu'il y ait eu des moments dans l'histoire où les rapports n'étaient pas faciles, comme lors de la guerre de 1812, les relations entre le Canada et les États-Unis demeurent un modèle pour le monde entier. Nos deux nations sont des démocraties, nous partageons la plus longue frontière non militarisée de la planète en plus d’être toutes les deux des fédérations.
Nous avons été des acteurs sur la scène internationale, partageant des valeurs et poursuivant des objectifs communs. La plupart des institutions internationales du monde s’inspirent grandement des modèles américain et canadien.
Ces dernières années, et depuis 1987, nous avons été liés par un accord de libre-échange officiel, qui a été étendu au Mexique en 1994 – les trois pays partageant des frontières, des valeurs démocratiques, une structure politique fédéraliste et une économie prospère.
Pendant les tumultueuses années de Donald Trump à la présidence des États-Unis, certaines tensions liées à l'accord de libre-échange se sont développées, ce qui a progressivement laissé place à un nouvel accord en 2020, intitulé l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), qui a été signé par les trois pays. Depuis lors, cependant, quelques querelles ont eu lieu et certains conflits de longue date, comme celui du bois d’œuvre, persistent. Certains enjeux continueront de diviser les deux nations
Plus tôt en 2021 et peu après l’investiture du président Joe Biden, un sommet virtuel entre les États-Unis et le Canada a été organisé. La vision de John F. Kennedy était bien présente puisque le président Joe Biden et le premier ministre Justin Trudeau se sont tous deux entendus sur des valeurs et des objectifs communs et sur la nécessité de trouver des solutions aux grands défis mondiaux, notamment à la COVID-19. L'économie est perturbée par la pandémie, et les deux nations s'efforcent de résoudre les problèmes liés à la diversité, à l'immigration et à la lutte aux changements climatiques.
Malgré le climat harmonieux actuel, il est évident qu’il y a des enjeux qui nous divisent et que certains d’entre eux nous diviseront aussi dans le futur. Comme nous l’avons mentionné, le différend sur le bois d’œuvre résineux se poursuit avec une augmentation des droits de douane imposés par l’administration Biden, et la question de la gestion de l’offre canadienne dans l’industrie laitière refait surface. Ces questions constituent toujours des défis importants et les différences ne disparaîtront vraisemblablement pas à court terme.
Dernièrement, l’intention de l’administration Biden de favoriser l’achat de véhicules électriques fabriqués aux États-Unis s’est ajoutée à ces points de litige. La marée montante du protectionnisme (Buy America), exprimée au fil des ans, de manière plus agressive à l’ère de l’administration Trump, se poursuit sous le président Joe Biden. Nous pouvons certainement espérer que nos systèmes de libre-marché resteront les arbitres principaux pour résoudre les enjeux et les conflits commerciaux. Néanmoins, il faut anticiper que les forces du marché canadien soient régulièrement confrontées aux réflexes protectionnistes des États-Unis en 2022.
Les enjeux à relever par Biden
Au terme de la première année de la présidence Biden, nous observons une polarisation partisane constante, un pessimisme croissant au sein de l’électorat américain et la baisse de popularité de l’administration Biden. L’année 2021 avait pourtant très bien débuté pour cette dernière : les taux de vaccination contre la COVID-19 avaient augmenté de manière significative jusqu’au milieu de l’année, un important plan d’aide lié à la COVID-19 avait été adopté et l’économie américaine connaissait une croissance notable. Toutefois, force est de constater que le président Joe Biden essuie désormais de nombreuses critiques.
Le retrait raté des troupes américaines d’Afghanistan a possiblement été un point tournant. L’effet des variants Delta et Omicron sur l’économie a aussi créé une incertitude quant à la poursuite de la croissance et au retour à la normalité. La hausse des taux d’inflation n’a fait que renforcer le scepticisme croissant. Les débats politiques concernant la vaccination obligatoire dans certains secteurs n’ont fait qu’empirer le sort de Joe Biden, alors que les élections de mi-mandat de novembre 2022 approchent.
On dit que les premières élections de mi-mandat d’un nouveau président constituent un référendum sur l’administration en place. Ces dernières années, nous avons vu Bill Clinton, en 1994, perdre les deux chambres du Congrès, et Barack Obama, en 2010, perdre le contrôle de la Chambre des représentants. Il est fort probable qu’avec son appui actuel (moins de 45 %), Joe Biden perde le contrôle du Congrès. Il aura besoin de quelques succès à court terme pour renverser la tendance actuelle.
Tout récemment, l’équipe Biden-Harris a entériné un plan d’infrastructures de près de 2 000 milliards de dollars pour les routes, les ponts, les lignes ferroviaires, etc. Ce plan était essentiellement soutenu par les deux partis, puisque des membres républicains du Sénat ont donné aux démocrates les 60 voix supplémentaires nécessaires (sur 100 sénateurs) pour qu’il devienne une loi. Il s’agit d’une réalisation importante dont les effets se feront ressentir dans tout le pays. Ce gain, ainsi que le plan d’aide lié à la COVID-19 mentionné préalablement, pourrait améliorer le sort de Joe Biden et de son parti.
Toutefois, le président Biden a subi deux revers majeurs, en grande partie en raison de dissensions chez les démocrates, à savoir le plan Build Back Better, qui englobe un plan d'infrastructure sociale, environnementale et économique, et les initiatives Voting Rights, qui visent à améliorer l'accès au vote. Pour réussir, Biden avait besoin du soutien total des démocrates du Sénat pour modifier la règle du filibuster (où il faut le soutien de 60 sénateurs sur 100), et du soutien total des 50 démocrates du Sénat sur les deux projets.
L'opposition de deux sénateurs démocrates – Joe Manchin (Virginie occidentale) et Kyrsten Sinema (Arizona) – a porté un coup important au programme de Biden en cette année électorale de mi-mandat.
Un autre facteur pourrait s’avérer important en 2022. Il s’agit de la loi actuelle sur l’avortement du Mississippi qui, entre autres dispositions importantes, interdit d’avorter après 15 semaines. Il s’agit d’une violation de l’arrêt « Roe v. Wade » de 1973, qui est essentiellement considéré comme le principal arrêt pro-choix concernant l’avortement. Cet arrêt avait aussi été essentiellement réitéré dans un arrêt subséquent en 1992. La Cour suprême des États-Unis devrait rendre son verdict en juin 2022.
Les derniers sondages indiquent que près de 60 % des Américains soutiennent la position pro-choix. Le Parti démocrate et l’administration Biden considèrent « Roe v. Wade » comme la loi en vigueur au pays. La majorité des républicains, fortement soutenus au fil des ans par les conservateurs sociaux et le mouvement évangélique, reste en faveur du mouvement pro-vie. Nous pouvons nous attendre à ce que le verdict joue un rôle important dans le cadre des élections de mi-mandat de 2022.
Il faut aussi considérer le facteur Trump. Donald Trump continue d’être le visage principal du Parti républicain, et il laisse toujours miroiter une course à la présidence en 2024. Il est clair qu’une éventuelle prise du Congrès par les républicains en novembre prochain ne ferait que renforcer le défi du président actuel.
2022 ne sera pas une année tranquille pour la politique américaine.
L’état de la démocratie aux États-Unis
Alors que des autocraties mettent en péril plusieurs démocraties à l’international, les regards sont rivés sur l’état de la démocratie américaine. Certains experts décrivent un déclin alors que d’autres avancent que les événements du 6 janvier 2021 constituent une tentative ratée de renversement de la démocratie. D’autres encore affirment que la menace n’est pas terminée.
On constate aussi qu’une certaine portion de la nation persiste à remettre en cause la légitimité de l’élection de Joe Biden. Par ailleurs, plusieurs États républicains tentent d’instaurer des mécanismes de contrôle étatique que l’on peut qualifier de partisans au sein du processus électoral. Le processus de découpage électoral partisan des circonscriptions nommé gerrymandering et des lois visant à empêcher des électeurs éligibles d’exercer leur droit de vote continuent d’apparaître dans de nombreux États. Contrairement au Canada, les élections fédérales américaines sont menées selon les règles de chaque État.
L’enquête actuelle du Congrès concernant les événements et l’insurrection du 6 janvier continue d’illustrer la vulnérabilité du système électoral. Le fait que le Parti républicain ne coopère pas officiellement à faire la lumière sur les événements ne fait qu’ajouter au sentiment que la démocratie américaine n’a jamais été aussi fragile depuis la guerre civile.
La présence continue de l’ancien président Donald Trump ajoute au désarroi ambiant. Il continue de répandre l’idée voulant que les résultats de l’élection de 2020 soient un mensonge. En outre, il continue d’intimider son parti, ou toute personne au sein de celui-ci qui s’oppose à lui ou qui le critique.
Par-dessus tout, il maintient le contrôle du parti grâce à ses déclarations peu subtiles selon lesquelles il se présentera à la présidence en 2024.
Existe-t-il des éléments positifs qui porteraient à croire que la démocratie américaine pourrait être préservée et pourrait reprendre du poil de la bête? S’agit-il seulement d’une période de transition marquée par la polarisation sur les médias sociaux et au sein d’un univers médiatique où l’opinion règne?
Je reste optimiste et j’estime que la démocratie est résiliente et qu’elle se regénérera progressivement d’elle-même. Les « freins et contrepoids » constitutionnels sont toujours en vigueur – le système judiciaire indépendant, la division des pouvoirs entre l’exécutif (la présidence) et le législatif (le Congrès), ainsi que le fédéralisme qui ont bien servi les Américains par le passé.
Les années 1960 et 1970 ont été marquées par la violence raciale et criminelle, les assassinats des frères Kennedy et de Martin Luther King, une polarisation intense concernant une guerre impopulaire au Vietnam, la démission du président Nixon en 1974 pour avoir enfreint la constitution, et une inflation fulgurante à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Pourtant, les États-Unis ont survécu, remporté la guerre froide, introduit et promulgué des lois sur les droits civiques et sont demeurés la superpuissance la plus importante sur la scène mondiale.
L’année 2022 ne sera toutefois pas facile. Déjà, l'administration Biden a subi un revers majeur dans la promotion du droit de vote et la modification de la règle de l’obstruction parlementaire au Sénat. Des craintes ont déjà été exprimées au sujet de la Cour suprême des États-Unis et de la possibilité que l’arrêt « Roe v. Wade » de 1973 sur l’avortement soit considérablement modifié ou annulé. Nous pouvons nous attendre à des répercussions importantes. La Cour suprême devient-elle trop politique? Attendez-vous à ce que ce soit une préoccupation dominante.
Par ailleurs, l’argent continue de jouer un rôle trop important dans le déroulement des élections et la polarisation de la politique américaine ne fait que renforcer l’impact des facteurs financiers. L’ex-président Trump lance une nouvelle plateforme de médias sociaux. Attendez-vous à ce qu’il s’agisse d’une source de financement pour menacer ses opposants internes et externes.
Alors que l'histoire a tendance à soutenir le triomphe de la démocratie face aux remous, je dois admettre que de sérieux défis et obstacles nous attendent. Peut-être même plus que jamais.